« Pour un Conseil Culturel de Combat »
Séance plénière du 22 juin 2015
Pour un Conseil Culturel de Combat
Intervention d’Andrée BUCHMANN
Monsieur le Président, chers collègues,
Nous sommes face à une situation que nous n’avons pas voulue : une réforme territoriale aux contours qui ne nous conviennent pas, imposés par le haut.
Nous n’en aurions pas été là si nous avions pu réaliser le Conseil Unique d’ Alsace. Cela a été dit. Europe Ecologie a fait campagne POUR. J’évacue d’entrée la partie regret qui chez d’aucuns suscite la colère. Mais est-ce une colère contre nous ou une colère contre eux-mêmes, de n’avoir pas fait quand il fallait faire ?
L’Alsace ne disparaîtra pas. Le Pays de Bade a-t-il disparu après la fusion avec le Wurtemberg ? Non ! Les Badois l’ont craint, pourtant, et ont voté majoritairement contre la fusion lors du referendum de 1951. Le Pays de Bade est toujours là.
En revanche je pense qu’il faut, et je l’ai exprimé dès la Plénière qui a suivi le vote national, il faut utiliser la situation pour renforcer la culture alsacienne. J’ai dit dans mon intervention au lendemain du vote parlementaire que nous avions mission dans l’année 2015 de sanctuariser l’existant, de l’approfondir, de l’étendre et de prévoir la reconquête. N’oublions pas que si aujourd’hui il y a un consensus sur les classes bilingues paritaires, sur la nécessité de renforcer l’allemand, ce n’était pas le cas il y a 5 ans encore. C’est suite à l’alerte de la CCI de Mulhouse constatant le recul des embauches en Suisse et dans le Sud Bade pour défaut de connaissance du Ditsch que la position dominante a changé. Il ne faut pas oublier non plus que si l’inéluctable déclin engagé au lendemain de la 2° guerre mondiale a été stoppé c’est grâce à l’engagement de citoyens et au combat associatif. Pas par lucidité des élites alsaciennes particulièrement peu combatives. Pour les classes bilingues paritaires, nous devons reconnaissance à ABCM et à Richard Weiss.
Il s’agit de sanctuariser l’existant, car les alsaciens ne seront pas majoritaires dans le prochain Conseil. Il faut rendre inaliénable l’existant.
Il s’agit aussi de reconquérir au moins en partie ce que nous avons perdu depuis les années 50 à cause de la pensée domestiquée de nos élites régionales.
Et il s’agit surtout de développer, de densifier, d’approfondir la connaissance. Que les cours d’histoire évoquent aussi notre histoire, que les cours de littérature présentent aussi les œuvres de nos écrivains qui font partie de la littérature française et européenne. Nous pouvons susciter des thèses, des mémoires, des films,…
Et nous pouvons étendre notre action à nos amis welches des Vosges (88) et nos amis mosellans. Avec leur adhésion, bien sûr.
Car ce qu’il convient de magnifier, c’est la richesse des langues et des peuples de ce territoire, de leur apport à cette merveilleuse mosaïque qu’est notre culture. Je dis avec Weckmann des langues, pas de la langue : l’elsasserditch, le Hocheutsch, le yiddich, le yenniche, le platt, le manouche, le roman… Et tous les autres apports. Weckmann écrit dans Langues d’Alsace : p 8 « Qui s’installe sur ce territoire (…) peut (…) l’enrichir de sa propre identité. C’est ce que les immigrés étrangers ont fait, de tout temps ». Et il propose, page 41 du même ouvrage un Management Culturel. Le Conseil Culturel Alsacien peut contribuer à cela. A condition qu’on ne créé pas un Conseil Canada Dry, un genre d’Académie d’Alsace pour contributeurs méritants. A condition que ce soit un CONSEIL CULTUREL DE COMBAT.
Qu’il soit issu des Assises pour le Bilinguisme, très bien. Mais pourquoi restreindre sa mission aux orientations et objectifs retenus par les Assises ? Qui sait de quoi demain sera fait ? Déjà pour les Assises je trouve que tout un pan de la culture alsacienne n’a pas été considéré. Pas grand-chose sur la culture urbaine, pas grand-chose sur la culture des jeunes. Malgré mon insistance, Mémoires Vives, par exemple, n’a pas été associé aux Assises, ni les Weepers Circus. Ce sont pourtant des acteurs de la culture alsacienne et des ambassadeurs reconnus de l’Alsace.
Car l’Alsace, c’est l’Alsacien, mais pas seulement. Et l’Alsacien, ce n’est pas seulement la langue de l’intime. L’alsacien est une langue qui peut dire la réflexion, la pensée, l’universel, le combat.
Vous citez tous André Weckmann maintenant. Je m’en réjouis. Mais il était persona non grata dans les cercles bien-pensants alsaciens. On l’a traité de pan germaniste. Il n’a jamais été publié par la Nuée Bleue. Il était aussi des combats écologistes et anti-nucléaires. Je prends pour exemple sa pièce Die Fahrt nach Wyhl. Car notre langue est aussi la langue de la résistance.
J’ai découvert le théâtre alsacien de combat avec la Jung Elsasser Buehn. Merci à Pierre Kretz, Monique Seeman et Luc Schillinger. Ils se produisaient sur des plateaux de charrette lors des manifestations écologistes.
Si le Conseil Culturel n’est pas un Conseil de Combat, qu’apportera-t-il ? Si c’est un cénacle de notables, à quoi servira-t-il ?
- Déjà, évitons le cénacle masculin. Nous proposons que les instances soient paritaires. Hommes-femmes. D’autant qu’il faudra s’accrocher pour équilibrer par rapport aux membres de droit : déjà 5 hommes.
- Evitons le cénacle d’une culture alsacienne monocolore mais faisons en sorte que la culture alsacienne soit représentée dans sa créativité et sa diversité.
- Ensuite se pose la question de l’indépendance : c’est celui qui remplit l’assiette qui décide. Ne serait-il pas judicieux que les financements ne viennent pas exclusivement du Conseil Régional ? Bref qu’il soit doté d’un budget autonome qui pourrait aussi être abondé par d’autres instances et des fonds privés.
- Enfin c’est la Commission Permanente qui désignera les membres. Difficile de donner un blanc-seing. Nous proposons la constitution dès à présent d’un groupe de préfiguration pour aider en amont la Commission Permanente dans son travail de préparation de la composition et des modalités de fonctionnement du Conseil culturel alsacien.
Enfin je voudrais dire pour terminer ce que j’espère de la Grande Région. C’est la plus grande région transfrontalière de France. Elle aura des frontières avec la Wallonie, le Luxembourg, la Sarre, le Palatinat, le Pays de Bade, la Suisse germanophone. C’est l’échelle pour commencer à réaliser une autre vision défendue par André Weckmann : la bilingua Zone, la zone bilingue franco-allemande allant du Luxembourg à l’Autriche. Et c’est ainsi qu’on pourra sauver notre langue et notre culture, et nous inscrire délibérément dans la dynamique économique, qui existe là, sur ce secteur.
Je vous remercie.
Reprise des propositions d’amendement du groupe Europe Écologie Alsace :
- Sur le caractère du Conseil culturel, il est affirmé qu’il ne s’agit pas de mettre en place un lieu institutionnel de plus mais de créer un espace ouvert de débat, de dialogue qui soit l’expression de la diversité et de la créativité de la culture d’Alsace.
- Sur la parité hommes-femmes, il sera inscrit que le Conseil culturel devra tendre vers la parité.
- Sur la question d’un budget et d’un fonctionnement indépendant, la majorité a relevé l’importance de cet enjeu. Cette question sera abordée dans la partie préparatoire du Conseil culturel.
- Sur la création d’un groupe de travail préfigurateur pour aider en amont la Commission Permanente dans son travail de préparation de la composition et des modalités de fonctionnement du Conseil culturel alsacien, le Président s’est oralement engagé à mettre en place un tel groupe de travail.
VOTES :
Pour : Majorité Alsacienne, Europe Écologie Alsace, FN
Ne prend pas part au vote : Socialistes et démocrates